Panier de charmeur de serpents. 20ième siècle . E. H. Körting, Vase à motifs incisés.1960s.
L'analogie des marques et des textures qui constituent ces deux objets visuellement pourrait constituer un point de départ: afin de nous ancrer dans le domaine du visuel et de nous y laisser nous promener sans guide que celui des objets-même. Cela afin de nous libérer des contraintes imposés par les connaissances sur nos perceptions.
Cette analogie nous rappelle aussi que les paniers ont, selon les hypothèses des anthropologues de la culture, joué un role primordial dans l'invention de la poterie à l'époque pré-historique.
Cette information peut servir de tremplin à d'autres promenades sans carte; et ainsi de suite.
Au lieu de nous laisser enfermer par les informations factuelles externes, nous pouvons utiliser toutes les informations disponibles (techniques, historiques, stylistiques, etc.), pour nous aider à nous échapper dans l'univers de l'objet.
Au-delà des analogies formelles, une affinité se profile autour de préoccupations fonctionnelles et de considérations esthétiques partagées.
Jusqu'où cela peut-il donc nous conduire? Vers quelle fictions historiques sur le role du mimétisme et des relations entre les objets, l'art et le réel? Ou bien ailleurs?
Nous sommes bien installés dans une machine (virtuelle) à remonter le temps, conçue pour nous aider à renoncer aux idées reçues et nous ouvrir les yeux — et l'esprit — sur l'univers infini des formes et des idées.
Alors bon voyage!
Vue de l'exposition 'Keramik Conversations', Aberystwyth, 2012.
Blanc de Chine. Vase. Porcelaine tournée. 18ème siècle . A. Kostanda, Vase @ Louis Giraud. Vallauris. Tourné, assemblé, coupé. Pré 1953.
Je ne peux toujours pas m'expliquer les raisons qui m'ont conduit à faire se rencontrer ces deux vases. Mon choix ne semble justifiée par aucun critère légitimé par l'histoire de l'art, mais par le seul fait que cette juxtaposition me parle et me rappelle les "histoires qui ne disent mot" de Rabelais; et cela me suffit. À l'opposé d'une fermeture du sens. La co-existence de mondes céramiques différents semble le sujet partiel de la composition, mais je sens que des relations cachées (non explicitées) faites de points communs et de différences sont tissées entre les deux, en dehors de toute logique simpliste; mais m'échappent encore. Peut-être le secret de cette conversation réside dans l'impossibilité de son achèvement. Laisser le champ ouvert à nos pérégrinations… tel sera notre objectif pendant la durée de votre visite.Dans l'esprit des "énigmes sans solution" énoncées plus haut, l'absence de solution 'scientifique' ici ne devrait pas être vu comme un inconvénient, mais plut^øt comme un avantage; car elle fonde et garantit notre liberté d'interprétation, sur la route ouverte pas Roland Barthes et Umberto Ecco dans les années 50 et 60, ensynchronie avec ces développement céramiques.
Alors, laissons-nous aller!
Selection de 'terres vernissées' produites à Vallauris dans quatre fabriques différentes: Narpon, Aegitna, FPP, Foucard-Jourdan.
Quatre grandes familles qui ont marqué la céramique de Vallauris — avec des matérialités (terre, cuisson, émaux) partagées — avant que la Modernité ne balaye ces formes et ces couvertes ochres et vertes qui remontaient au Moyen-Age.
Mais à travers les différences de formes on détecte des singularités et des traits communs qui animent l'argile dans sa matérialité humanisée. On reconnait un language des signes céramiques qui révèlent une écriture de la terre: chant de la terre?
Narpon. Casserole. (fin 19ième) . P. Saltalamacchia. Vase moulé, gravé décoré à l'éponge. Années 40.
La tentative excentrique (à droite) de Placide Saltalamacchia d'élaborer une céramique moderne sans autre expérience que celle de la fabrication de poteries culinaires (comme celles produites par Narpon, à gauche) était vouée à l'échec, car dépourvue de compétences artistiques et de références esthétiques appropriées. Le résultat tout intéressant qu'il nous paraisse aujourd'hui sur le plan historique ou anthropologique, débouchait dans les années 40 sur de l'Art Brut, aliéné du public qu'il cherchait.
Cette conversation pourrait évoquer aussi bien un saut dans le vide en direction d'un futur céramique florissant, qu'un fourvoiement dans le labyrinthe des styles impossibles à trouver.
Un nouveau monde naissait et, paradoxalement, le mode de production archaïque de jadis (voir photo ci-dessus: Atelier Aegitna) devait être adopté partiellement par les artistes, formés dans les écoles de beaux arts qui produisaient des 'pièces uniques' puis, peu à peu, modernisaient au gré de leur succés.
Placide Saltalamacchia. Pichet. Terre vernissée (1930s) + Vase émaillé. Années 50.
En l'espace de trois décennies, sous des pressions économiques considérables (moderniser ou disparaitre), l'atelier Aegitna, crée en 1920 par Placide Saltalamacchia, a dû se réinventer et opérer une transition radicale éviter la faillite: passant de la fabrication de poteries culinaires traditionnelles en terres vernissées à des faïences décoratives modernes: produites industriellement: au goût d'un nouveau public, et pour être vendues en nombre et à bas prix; dans le cadre de la nouvelle société des loisirs qui émergeait dans l'après guerre.
Le saut stylistique 'faramineux' est ce qui frappe ici; une véritable métamorphose, qui s'est, hélas, soldée par une dissolution de l'identité céramique 'Saltalamacchia & Cº' dans une anonymité stylistique collective; si bien que la plupart des potiers qui ont utilisé ces recettes commerciales toutes prêtes en magasin, n'ont plus jugé utile de signer leurs poteries de leurs noms, mais d'y inscrire simplement l'appellation "Vallauris'; acceptant par cette pratique leur nouveau status de producteurs anonymes.
Le choc produit par la rencontre de ces deux vases est une invitation à voyager dans les deux sens; réalisant que les vieilles terres vernissées ont acquis un nouveau statut esthétique, sans doute aidées par la pratique des artistes, qui ont valorisé le tournage (Kostanda), la simplicité des formes (Madoura), la couleur (André Baud), etc. contre les productions de masse.
A. Kostanda. Vase tourné, déformé. Mélange de terres de Vallauris et de pâte à grès de Cluny. c. 1953-5. Michel Vilmotte. Vase tourné modelé. Grès. Strasbourg, 1969.
Dans ces deux vases (fait respectivement à Vallauris et à Strasbourg) les propriétés des matériaux sont au centre du processus de création: mis en évidence dans la forme du vase ainsi que dans l'engobe qui se métamorphose en couverte en se vitrifiant à la cuisson.
Le résultats chez ces deux artistes est, à quelques quinze ans d'intervalle, une forme qui se rapproche de la sculpture: l'une dans un biomorphisme minéral, l'autre en poussant vers une géométrie brutaliste.
Alexandre Kostanda. Trois pichets 'déconstruits'. Mélange de terre de Vallauris et de pâte à grès de Cluny. Tournés.
Librement tournés, puis radicalement coupés, en fin de parcours, ces pichets ont été délibérément rendus inutilisables comme pichets, mais pas comme 'représentations'. Cette intervention sur la forme de l'objet représente une tendance importante qui se rapproche du Pop Art et du Nouveau Réalisme dans son action ludique sur le monde des objets.
Alice Colonieu a suivi un chemin analogue, mais d'une façon peut-être plus radicale: au-dela de toute fonctionnalité, sinon esthétique, aux limites des bienséances céramiques.
Ici le poids excessif et la grande taille de l'objet le libèrent de toute fonction domestique. Cependant, en émulant et préservant la forme du pichet, l'objet céramique se transpose dans le champ symbolique de la 'représentation'. Tout en célébrant la matérialité de l'argile et l'action créatrice des mains, des outils qui ont servi à marquer l'argile, et celle du feu, ce pichet redéfinit la production de l'objet céramique comme intervention iconoclaste sur la réalité du quotidien et refus des objets-clichés et autres paresses intellectuelles.
Paul Millet. Vase. Faïence moulée, émaillée à l'oxide de cuivre. Sèvres. c. 1920 . Marcello Fantoni. Italie. Vase ou pied de lampe. Modelé. Forme libre. Émaux coulés, émulant l'expressionisme abstrait. Pièce unique. 1950s.
Cette juxtapposition spectaculaire (peut-on imaginer contraste plus grand et plus violent?) montre comment, en l'espace de trois décennies, la modernité céramique a d'abord adopté des formes et des émaux Chinois et Japonais datant du 18ième siècle pour se re-définir, puis, trente ans plus tard, a pris le chemin d'une 'déconstruction' radicale — au niveau de la forme et de l'émail — qui, à l'époque, a dû sembler d'avantage une destruction qu'une révolution esthétique et stylistique.
Le va-et-vient auquel nous convie cette 'conversation' nous invite à réconcilier ces approches dans un champ esthétique élargi au-delà des normes historiques changeantes, en spéculant sur la fluctuation des limites esthétiques.
Dans les années 50, les émaux 'écume de mer' et volcaniques développés et brevetés et exploités par des potiers comme Auguste Lucchesi à Vallauris ont connu une popularité qui les a rendu disponibles chez les marchands, et les a fait adopter par plusieurs potiers; chacun développant sa propre manière: par leurs façons respectives de controller les effets artistiques des réactions thermiques dans les diverses couches d'émail, pendant la cuisson.
Charles Cart dans sa poterie du Cyclope à Annecy, basa toute sa production sur des émaux cloqués en bleu, miel, vert et rouge; produits avec des recettes obtenues avec l'aide d'un chimiste auquel il avait demandé qu'il lui montre comment 'gâcher' ou 'ruiner' les émaux (Déconstruction 2).
Face à ces productions, et vu le caractère aléatoire des procédés de cuisson, le collectionneur se retrouve un peu dans la situation du 'Maitre de Thé' Japonais qui, au dix-huitième siècle, allait chercher les bols pour la cérémonie du thé dans les poteries de campagne, en quête d'accidents de cuisson qui donneraient les 'meilleures pièces'
au-delà de toute intentionalité.
Aucun des vases ci-dessus, très probablement sortis de la fabrique de Marino, Le Vaucour à Vallauris ne sont signés, mais tous portent simplement la mention 'Vallauris', incisée dans la terre encore fraiche.
Par contre, le fait que l'un de ces même vases, aux formes si eccentriques, mais décoré de motifs suprématistes, porte la signature 'Le Vaucour'; m'a induit à conclure qu'il en était l'auteur.
J'ai mis en scène le dialogue entre ces deux vases — de Le Vaucour et Marei Keramik — pour l'affiche de l'exposition Keramik Conversations, que j'ai présenté aux Archives Nationales de la Céramique d'Art, à Aberystwyth (Royaume Uni).
Elle illustre les convergences spécifiques observables dans le développement des émaux volcaniques ('fat lava' en Allemagne), qui ont connu un véritable engouement parmi les collectionneurs de céramiques populaires de facture industrielle.
Mais le terme 'industriel ne devrait pas nous faire oublier que l'application des émaux en usines n'est pas nécessairement le fait de pratique mécanique et impersonnel; car chaque vase doit être émaillé selon un mode artisanal. Ce qui compte c'est la nature de la couverte envisagée. Elle peut être complexe et sophistiquée (et demander plus de temps, de moyens et des compétences plus grandes) ou bien se faire 'à la chaîne' à l'emporte pièce. (la mention "fait main" ou "décoré main" que l'on retrouve sur la base de poteries soit tournées moulées souligne cette distinction).
La qualité artistique manifestes dans l'objet fait en usine, varie donc selon l' investissement au niveau du design de la forme et de la couverte et de sa réalisation. Cela a conduit les fabriques allemandes a employer deux concepteurs (un pour la forme un second pour l'émail) et plusieurs 'fabricateurs' dans le processus de production. Ce fait est illustré dans des conversations qui suivent.
Le résultat final dépend aussi d'autres facteurs qui échappent au contrôles techniques : notamment le facteur chance dans la réaction des émaux pendant le cycle application, cuisson, refroidissement.
Nous sommes loin de procédés mécaniques et impersonnels.
Á la manière d'un artiste peignant sur une toile industrielle, la création d'une couverte est une affaire d'artistes. Pourtant personne ne songerait à objecter au peintre que son tableau souffre d'avoir été peint sur toile pré-fabriquée ni au sculpteur d'avoir moulé ses formes.
Il convient donc de re-découvrir et ré-évaluer le travail artisanal collectif qui a lieu dans un mode de production industriel visant à démocratiser la céramique d'art.
Vue de l'exposition à Aberystwyth
Scheurich, Trois vases moulés, émaillés: 'Fat lava'. Années 70.
Bien que dans les céramiques industrielles allemandes des années 60-70 ('Fat lava') la forme de chaque vase d'une série donnée ait été reproduite sans variation notable à partir d'un même moule industriel; de par son application artisanale, la couverte de chaque vase et, par la même sa qualité artistique, varient en fonction de plisieurs facteurs.
Pour le collectionneur, il convient donc de rechercher les pièces sur lesquelles les réactions thermiques auront produit les meilleurs effets pendant la cuisson et le refroidissement. Mais cela demande des compétences et un niveau de discrimination sophistiqué; car nombreux sont ceux qui se laissent guider par le nom et le type de vase (en Allemagne: souvent identifiés par des numéros de série) et par des pratiques qui visent à constituer et compléter des séries d'objets de même design (réunissant toutes les couleurs utilisées sur le même vase).
Mais comme le montre les trois vases ci-dessus, la disposition de deux, trois (ou plus) objets produit des effets esthétiques spécifiques; un peu à la manières d'installations ou de sculptures. Cette exposition explore ces possibilités de produire du sens à partir de groupements stratégiques d'objects: dialogues, triptyques, cavalcade…
Ici la rencontre entre une pièce individuelle (mais pas unique) tournée, produite par le potier allemand Rudi Stahl en atelier (en petite série), et (à droite) une pièce moulée produite par la firme Rusha en série industrielle (pour justifier les investissements nécessaire pour produire des objets à des prix abordable à un plus grand nombre) nous invite à revoir nos préjugés concernant les hiérarchies esthétiques entre céramiques d'artistes ('studio ceramics') produites par un individu en atelier, en petites séries, et celles produites en usine en grandes séries.
Toutefois, notons que si chez Stahl les traces du tournage et la matérialité de la terre sont les caractères principaux du vase, dans le Ruscha dont la forme et l'émail ont été conçu par deux personnes différentes, l'originalité du 'design' (de la forme) ainsi que de la couverte en constituent les attributs esthétiques principaux.
Sur l'évidence des yeux, les qualités spécifiques de chaque vase nous invitent à abolir toute hiérarchie pré-établie et évaluer chaque vase selon ses caractéristiques spécifiques propres.
La couleur — trop longtemps réprimée par Bernard Leach et son école ('la brigade des pots bruns'; la 'brown pots brigade') — a, dans l'après guerre, constitué un élément essentiel dans la popularité de la céramique.
Dans les années 1890, pour un public intime de collectionneurs et de musées, Dalpayrat avait déjà réussit à produire des réactions chimiques très complexes et des effets extrêmenent variés dans une même couche d'oxide de cuivre auquel il ajoutait des catalyseurs:
Ce type de recherche demeure inégalée, mais la chimie qu'il a constitué a crée un précédent qui a, indirectement élevé le niveau des céramiques industrielles produites dans les années 60 et 70.
Les céramiques industrielles qui n'y ont pas été indifférentes, ont adapté ces effets à un contexte industriel et un niveau esthétique plus modeste, mais qui a permis de toucher un plus grand nombre::
Ruscha. vase. Design: Kurt Tschörner (forme); couverte: Otto Gerhaz (émail) ou Gerda Heuckeroth.
Réalisés par des artisans spécialisés dont le role était parfaitement intégrés dans un processus de création collective a permis à des savoir-faires artisanaux d'être incorporés dans un mode de production industriel. Ruscha, Vase à hanse. 70s. Schäffenacker. grès moulé. 70s.
On peut suivre ce même processus ci-dessus. Bien que tout deux produits à partir de moules, l'un en usine, l'autre dans un atelier de sculpteur, le traitement de leur surface par des émaux sophistiqués et d'une grande diversité les situe dans des esthétiques distinctes. On reconnait, à droite, l'approche du sculpteur et à gauche, en plus grand, une forme qui rappelle des anciens vases rituels exposés dans les musées archéologiques. Sauf que la forme archéologique a été considérablement magnifiée et purifiée/idéalisée de façon à en faire la manifestation d'une idée platonique.
Rudi Stahl. Vase. Terre chamotée. Années 60. Scheurich. Vase. Moulé. Émail 'lave' rouge sur noir. Années 70.
Ici encore la différence entre le mode de production en atelier et celui en usine ne permet pas d'affirmer la supériorité esthétique de l'un sur l'autre, car leurs qualités artistiques se basent sur des critères différent, et s'équilibrent dans leurs différences de style, ainsi que dans celles de leur matérialité respectives qui fondent leurs spécificité.